Une nouvelle écrite l’an passé au moment du concours Ecrire au féminin, mais non envoyée…
« Elle entre dans l’ascenseur et les portes se referment. 14e étage, un étage idéal pour s’échapper. Comme chaque soir de la semaine, elle s’appuie contre la paroi, ferme les yeux et projette immédiatement sa soirée.
Elle ouvrira la porte de son appartement, laissera tomber dans l’entrée son sac, son manteau, son foulard, ôtera ses chaussures avec les pieds afin de savourer le contact de la douce et épaisse moquette sous sa voute plantaire. Elle passera par la salle de bain, fera couler l’eau dans la baignoire, ajoutera une dose de bain moussant au patchouli, allumera les bougies. Elle poursuivra jusqu’à la cuisine pour se servir un verre de Pouilly Fuissé, accompagné de quelques noix et fruits secs à grignoter. Elle passera par sa chambre, son verre à la main, se déhabillera et enfilera son doux peignoir immaculé.
Puis retournera dans sa salle de bain, avec vue sur les lumières de la ville depuis cette fenêtre panoramique dont la pièce est dotée. Elle l’a choisie son appartement pour cette pièce. Quelle salle de bain, quelle baignoire ! Au passage, elle prendra de nouveau quelques fruits secs et noix, puis se glissera dans ce bain chaud, rempli de mousse.
Et après… et après, les portes de l’ascenseur s’ouvrent. Encore une fois, elle a été interrompue dans ses pensées.
Les odeurs du palier la rattrapent… et ce ne sont pas celles du patchouli. Sa voisine est aux fourneaux à n’en pas douter.
Les bruits qui lui parviennent de l’autre appartement mettent fin à son doux rêve… les bruits, que dis-je, les cris… ses voisins s’aboient dessus.
Elle glisse la clé dans la serrure, prête à retrouver son havre de paix. Sitôt la porte ouverte et refermée, Mme Josselin lui saute dessus :
« – Votre mari a appelé, il rentrera tard, ne l’attendez pas. Je serais vous, je me méfierais, il le fait souvent le coup de la réunion qui se termine tard. »
Elle n’a même pas le temps de répliquer, que Mme Josselin qui s’empresse de s’emparer de son sac et d’enfiler ses chaussures, renchérit sur le ton de la confidence :
« – Je pense qu’il vous trompe. »
D’un « au revoir Mme Josselin, bon week-end », elle la met dehors, claque la porte et s’appuie sur le chambranle, souffle un grand coup en fermant les yeux. « Mais qui vous dit Mme Josselin que moi aussi, je ne le trompe pas ! Hein, qu’en savez-vous ! Je l’insère juste dans mon emploi du temps de la journée, comme ça, c’est beaucoup moins gros que le nez au milieu de la figure. Et puis mêlez-vous de vos affaires ! Arrgggghhh, je n’aurais pas besoin de vos services, ce ne serait pas si galère de trouver une aide à domicile, ça fait longtemps que je vous aurais dit vos quatre vérités. »
Elle laisse passer le vent de colère, ne s’étonne plus du calme qui règne dans l’appartement. Elle prend une grande inspiration, se débarrasse de ses affaires, passe par la salle de bain, fait couler l’eau, ajoute du bain moussant. Puis elle se glisse dans la cuisine, se sert un verre de Pouilly Fuissé, en savoure une gorgée, agrémentée de noix et fruits secs.
Son verre à la main, elle se rend dans sa chambre, enfile une tenue décontractée.
Alors, seulement, elle s’approche du salon. Seul le son de la télévision parvient à ses oreilles. La nounou bis… celle qui n’a besoin d’aucune autorité pour les faire taire. Et d’une voix couvrant le bruit, elle s’exclame : « Maman est rentrée les enfants ! »
Deux lutins, la bouche enchocolatée, les cheveux en bataille, déboulent vers elle et se jettent dans ses bras. »
Août 2014
Source illustration : Gustavo/Tuxmemento sous Licence Creative Commons
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